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Décembre  2021

     La Vie de l'autre  numéro 12

Conte de Noël!

Pour les grands

Conte pour
les petits

Ouf quelle journée!

Texte de François Tardif

Illustrations : Mysho

Sapin conte 2-21.png
Plante conte 2-21.png

Je viens encore de freiner trop tard et d’entrer en collision avec le pare-choc d’un de mes concitoyens.

 

Dans le dernier mois, ça fait maintenant 4 fois au moins que je dois me prendre la tête entre mes mains avant de sortir de ma voiture pour aller m’excuser pour les inconvénients que j’occasionne aux autres en étant si distrait. Mais qu’est-ce qui m’arrive encore?

 

Ce matin déjà, je me suis pris pour mon chat; j’ai accroché une branche de l’arbre de noël et tout a dégringolé. 4 boules sont irrécupérables, des guirlandes jonchent le sol et  le fil de branchement des lumières s’est brisé et a créé un court-circuit qui, je ne sais trop pourquoi, a fait sauter le fusible de mon grille-pain et de ma cafetière. Dix minutes plus tard, je constatais les dégâts en mangeant une tranche de pain non grillée devant mon chat qui se baladait habilement à travers mon arbre et mes décorations qui gisaient et faisaient désormais briller de verre cassé le plancher de mon condo. Marconi, mon curieux de chat me regardait, un peu jaloux, se demandant comment il pourrait  à son tour faire tout tomber maintenant que tout était déjà par terre. Il était déçu d’avoir du grabuge de moins à faire. Mais, malgré cet inconvénient passager, et comme toujours, il a continué à être le digne chat de son co-loc (moi) en faisant tomber le poinsettia et de la terre humide sur mon tapis…

 

Au lieu de pleurer, je me suis mis à rire et j’ai quitté rapidement ce capharnaüm pour ne pas être en retard à mon rendez-vous d’embauche.

 

En sortant du garage, je n’ai pas remarqué que mon pantalon et ma chemise étaient un peu taché de café et de confiture qui s’étaient logés sur mes habits au moment où j’ai vainement tenté d’attraper mon chat pour aller le placer dans ma chambre en attendant que je ramasse toutes mes traineries accidentelles… mais, comme toujours, il a trouvé une bonne cachette je ne sais où et je suis parti rapidement en espérant que la catastrophe annoncée ne se produirait pas et que mon appart ne se transformerait pas en dépotoir, sous les hospices de mon glorieux chat vertébré producteur régulier de véritables tornades.

Chat conte 2-21.png

Ce matin, en sortant du garage, je pensais donc à tout ce qui m’arrivait depuis bientôt un mois et j’ai malencontreusement tenté de me prédire une belle journée au moment même où un policier m’arrêtait pour me dire que ma ceinture n’était pas attachée. Mais, miracle, il ne m’a donné qu’un avertissement comme si, en contemplant mes habits tachés, il s’était dit :

-Je ne rajouterai pas de fardeau à sa journée déjà mal commencée.

 

Il ne croyait pas si bien dire car, quelques secondes à peine plus tard, au moment même où je me rendais compte que j’allais être en retard à mon rendez-vous d’affaire, ma voiture a heurté cette petit fiat rouge qui avait été parfaitement propre et magnifique sans doute avant que je lui démolisse le portrait avec ma distraction.

 

En sortant du véhicule, je m’attends au pire et je me remémore les trois petites collisions que j’ai engendrées dans le dernier mois.

Collision 1-Après avoir délicatement enfoncé la portière d’une Tiguan grise de l’année, il s’est ensuivi une engueulade monologuée où je me suis fait traiter de cave et de parfait connard par un homme dans la cinquantaine qui en été quitte pour se calmer devant mon silence hébété.

Collision 2-Après avoir reculé dans le devant d’une Nissan bleu ciel, une jeune demoiselle d’à peu près 12 ans (j’exagère, mais elle avait l’air si jeune et si désemparé en pensant à sa mère qui l’engueulerait en rentrant qu’elle portait une moue de petit enfant), j’ai insisté pour me faire pardonner et je suis allé moi-même tout expliquer à ses parents en remplissant le constat à l’amiable où je reconnaissais tous mes torts.

Collision 3-Cette collision qui est arrivée pas plus loin qu’hier, me fait encore mal même si elle était si minuscule qu’on a eu beaucoup de mal à trouver le point d’impact sur l’aile de la Subaru verte. Malgré le peu de bris matériel, le mal que j’ai créé à cette vieille dame qui ne pouvait arrêter de pleurer en pensant que je venais de détruire, disait-elle à qui voulait l’entendre, la première voiture neuve qu’elle avait pu s’offrir dans sa vie. Elle l’avait acheté une heure plus tôt et j’aurais bien voulu verser des larmes moi aussi mais je n’arrivais pas à trouver la moindre égratignure sur ce superbe bolide. Par amour de l’humanité, je me suis décidé à verser quelques larmes et à tout faire pour calmer la crise de nerf de la dame qui a rapidement appelé son mari à son secours. En moins de 5 minutes, nous étions deux à essayer de la calmer et, curieusement, cette mésaventure s’est terminée autour d’un café où tous les trois nous avons fraternisé en riant pendant de longues minutes. La dame a repris la route quand elle a cessé complètement de trembler.

 

Je cause tellement plus de ravages que mon Marconi adoré, je suis si habile dans les dévastations depuis si longtemps (je ne vous raconterai sûrement pas les 3217 fois où j’ai renversé mon verre de lait entre 2 et 9 ans ni le moment où j’ai décidé de glisser  avec mon petit frère sur de la peinture fraiche que je venais de renverser sur le plancher du salon), les ruines que je crée sont si quotidiennes que cette 4e collision en si peu de temps, au lieu de m’apparaître normale (moi qui suis habitué aux fléaux auto-provoqués) m’a soudainement clairement mis en état de choc irréversible.

 

Sans trop savoir pourquoi, je suis sorti de ma voiture et je me suis dit que j’abandonnais… non pas la vie… j’aime trop la vie pour même penser à l’irréparable… mais je pris la décision irrévocable d’abandonner ma voiture, mes clés et toutes mes possessions à qui voulait bien les prendre. Au milieu du petit embouteillage que je venais de provoquer en cette veille de noël très achalandée et malgré le fait que je manquais encore une fois un rendez-vous important et vital pour la réussite de ma carrière de comédien, j’ai grimpé sur le toit de ma voiture et me suis assis bien calmement, prêt à faire la grève de la conduite.

 

Je m’attendais à une crise de nerf d’un peu tout le monde devant ma pause incompréhensible mais j’étais rendu au point où je devais faire amende honorable et me rendre à l’évidence que tout allait trop vite pour moi et que je devais faire quelque chose pour cesser les hécatombes que je créais autour de moi.

 

L’automobile que j’avais frappé encore une fois délicatement et son propriétaire restaient lettre morte mais les conducteurs d’au moins 4 autres véhicules maintenant bloqués par ma maladresse se sont précipités vers moi en cherchant à comprendre ce que je faisais :

-Monsieur, pouvez-vous bouger votre véhicule, me demande poliment une dame

-Heille le smat, cria un jeune homme de 30 ans environ, l’écume à la bouche, tu descends de ton toit et tu bouges ta scrap sinon je te fais manger tes clés

-Monsieur svp, j’ai un rendez-vous, me dit un autre jeune homme,  et… mais vous faites quoi sur votre auto?

 

En guise de réponse, j’ai montré mes clés et je les ai délicatement déposées sur le toit devant moi.

 

-Youhou, on vous parle, continua un nouvel opposant à mes démarches.

 

Pendant que tout le monde essayait de comprendre ce que je faisais, une jeune dame sortit enfin de la voiture que je venais d’endommager… elle était habillée en lutin du père noël et elle riait aux éclats, un café à la main.

 

-Excusez mon habillement… j’allais commencer mon nouveau travail au centre commercial… (elle riait de plus belle, laissant tout le monde pantois)… le Père noël doit attendre après moi mais je ne pensais pas avoir à me montrer à tant de gens en plein milieu de la rue (elle riait si fort et si gentiment que tous les conducteurs irrités retrouvèrent le sourire). D’ailleurs monsieur sur le toit, je suis d’accord avec vous, moi aussi j’pense que je vais prendre une petite pause en attendant les policiers… ou le chariot du Père noël car je ne sais pas trop ce qu’il faut faire dans ces cas-là…

 

Et elle est grimpé sur mon toit (je l’ai aidée un peu).

 

Elle s’est assise à côté de moi et on s’est mis, en silence, à regarder le ciel puis le spectacle qui s’offrait à nous. À cause de ma folie de tout arrêter, une trentaine de véhicules étaient immobilisés. Une vingtaine de personnes maintenant s’agglutinaient autour de nous en murmurant respectueusement les uns expliquant aux autres ce qui se passait. Le silence sur le toit se répandait tout autour.

 

-Vous voulez un peu de café? Me dit-elle tout naturellement, rompant le calme qui s'était établi sur mon toit. Je n’ai pas deux tasses mais quand deux véhicules se tamponnent, ça crée une sorte d’intimité non?

 

Elle rit et moi aussi mais au moment où je m’apprêtais à saisir son gobelet, je me suis arrêté en pensant à toutes les fois où j’ai renversé ce que je tenais entre mes mains.

 

-J’adore le café mais non merci, je vais encore tout faire foirer.

 

-Gaffeux hein? Me dit-elle en faisant un grand signe de la main envers les automobilistes qui recommençaient à s’impatienter et, certains, à grimper sur mon  toit.

 

Curieusement, tous comprirent le sens de son grand geste et le silence ambiant reprit le dessus. Ils restèrent autour de nous mais à distance.

 

-Ouais, dis-je, super gaffeux… et je fais la grève, je ne bouge plus. Je veux cesser d’être un danger pour tous… je renverse tout, je cogne tout le monde, je…

 

-Chut chut me dit-elle en refaisant, mais en minuscule, le geste de la main qui, avec autorité, réussit à me faire taire ou plutôt à calmer mes angoisses.

Un peu de silence, ça peut pas nuire.

Illustration embouteillage option 2.png

Et on s’est tus comme ça pendant au moins deux minutes pendant que l’embouteillage devenait monstre et qu’une foule s’agglutinait en gardant vivant l’esprit ambiant du murmure.

 

Étrangement, au bout de ce merveilleux moment de paix, j’ai senti le calme m’envahir. Ma belle compagne du toit m’a retendu son café et, avec bravoure, je l’ai saisi et j’ai bu une grande gorgée de café froid avant de le lui remettre sans rien renverser.

 

-C’est déjà un début! Dit-elle

-Merci

-Vous n’avez que vous à remercier… mais la prochaine fois, pas obligé de mettre des centaines de personnes dans le trouble.

-Ouais tout va trop vite pour moi.

-Ralentissez! A-t-elle dit en éclatant de rire, en se levant sur le toit et en se tournant vers tout le monde.

 

Je me suis levé à côté d’elle et j’ai dit très fort :

-Tout est réglé! J’arrête ma grève.

 

Et c’est le plus naturellement du monde qu’on a rempli un constat à l'amiable, généreusement tendu par un des conducteurs alors qu’un autre est venu nous aider en nous tendant une stylo Mont-blanc s’il vous plait.

 

Je ne sais trop pourquoi mais tout le monde s’est calmé en prenant cette situation à la rigolade malgré le froid; un monsieur est même allé chercher du café chaud et des beignes pour tout le monde et au bout de 15 minutes j’ai décidé, sur les conseils de ma nouvelle amie Hélène, de descendre du toit et de l’accompagner à son travail où, me dit-elle, on cherchait désespérément un conducteur de train miniature.

 

Aussi mystérieux que cela puisse paraître, depuis deux semaines que je conduis ce petit train qui transporte les familles autour du royaume du Père noël, je n’ai eu aucun accident.

 

En fait, j’ai vécu, cette journée-là, un choc terrible et inattendu… la belle Hélène, après être venue me rejoindre sur mon toit et après m’avoir trouvé un travail d’appoint, m’a aussi invité dans sa famille et m’a complètement charmé.

 

Depuis que je suis amoureux, je ne renverse plus rien et je conduis mon auto sans frapper personne. Même mon chat Marconi est plus calme et ne fait plus aucun saccage… ah l’amour qu’est-ce que ça peut bouleverser une vie!

 

Ouf quelle journée ce fut en cette veille de noël!

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